Le 9 février 2023, date de la réunion d’installation du nouveau Syndicat Eau du sud francilien (SESF), l’association Eau publique Orge-Essonne et la coordination Eau Ile de France s’étaient exprimées pour se féliciter de la création de ce syndicat.
Nous avions notamment souligné combien ce fruit de la solidarité entre collectivités était attendu; il allait nous permettre de co-construire, entre les habitants et leurs élus locaux, le rapport de force nécessaire pour obtenir de Suez la restitution sans contrepartie des usines de production de notre eau potable : des usines déjà largement payées par nos factures d’eau.
Quelle avancée en effet de disposer d’un outil public collectif, dont l’objet, les choix, l’agenda et les dépenses soient protégés des business plans des opérateurs privés; et exclusivement, désormais, guidés par l’intérêt des usagers d’aujourd’hui et de demain.
Un outil qui replace au cœur du débat public la question de l’usage et de la préservation de l’eau, à l’abri, enfin, des pratiques de secret des affaires, de concurrence entre opérateurs, de marchandisation qui l’ont pollué durant des décennies.
Douche froide
La 2ème réunion du Comité syndical du SESF, 6 semaines plus tard, a quelque peu douché notre satisfaction: sans avoir été avertis de sa convocation (alors qu’il s’agit d’une instance ouverte au public), nous avons appris après coup qu’elle s’était prolongée par une réunion à huis-clos durant laquelle les élus du SESF ont décidé d’accepter la confidentialité exigée par Suez pour les discussions sur la restitution de nos usines de production d’eau potable.
Cette acceptation immédiate par le nouveau Syndicat des conditions fixées par la multinationale Suez nous parait incompréhensible et préjudiciable à l’objet même de ce syndicat, à savoir recouvrer une pleine maîtrise de la production et du coût de production d’eau potable.
Nous continuons à exiger que le débat sur la maîtrise de la production d’eau potable soit désormais mené en permettant aux habitants et usagers du service d’eau potable d’être partie prenante des choix à faire.
Les conditions exorbitantes de confidentialité imposées par Suez, au prétexte du « secret des affaires » nous paraissent illégitimes et inaudibles, s’agissant d’un bien commun comme l’eau à placer d’urgence sous la responsabilité et la protection des populations.
S’il en était besoin, nous rappelons 8 raisons, au moins, qui s’opposent selon nous sur cette question d’intérêt public à une omerta motivée par le secret des affaires

1
L’article L210-1 du Code de l’Environnement consacre que :
« L’eau fait partie du patrimoine commun de la nation. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d’intérêt général (….).
Dans le cadre des lois et règlements ainsi que des droits antérieurement établis, l’usage de l’eau appartient à tous et chaque personne physique a le droit d’accéder à l’eau potable, selon les modalités et pour les usages essentiels mentionnés à l’article L. 1321-1 A du code de la santé publique, dans des conditions économiquement acceptables par tous »
Seule la consultation des usagers sur le tarif envisagé et sur les bases de ce tarif, notamment sur les composantes « production » et « transport » de ce tarif, peut permettre de vérifier qu’il est accepté et donc acceptable par tous.
2
La Charte de l’environnement, ayant valeur constitutionnelle en qualité de préambule de la Constitution , et notamment son article 7, garantissant le droit de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement.
La question de la production, la protection et de l’utilisation de l’eau potable est assurément un enjeu environnemental. Les décisions publiques afférentes au financement de ce service ont une incidence sur l’environnement. A ce titre , est garanti par la Constitution le droit de toute personne, de participer à l’élaboration de ces décisions, ce qui implique évidemment d’être partie prenante, en amont, des discussions, appréciations et arbitrages fondant ces décisions.
3
L’article L. 2224-7 du code général des collectivités territoriales (CGCT) rappelle que le service d’eau potable comprend, à part entière, « la production par captage ou pompage, la protection du point de prélèvement, du traitement, du transport, du stockage et de la distribution d’eau destinée à la consommation humaine ».
De ce fait, il est impossible d’instaurer, pour tout ou partie des opérations inhérentes à ce service, une zone noire de non-droit qui échapperait aux règles de transparence, de motivation des décisions prises, de contrôle et de suivi qui s’imposent pour tout service public.
4
L’arrêt du 29 juin 1998, de la cour d’appel de Paris (confirmé par la Cour de cassation le 3 mai 2000), réformant la décision 98-04 du Conseil national de la concurrence, a enjoint à Lyonnaise des Eaux « … de communiquer… à tout tiers qui en ferait la demande dans le but de se porter candidat à la procédure de mise en concurrence lancée par les communes de Villemoisson/Orge, les Ulis et Grigny, son prix de vente en gros de l’eau potable établi de manière objective, transparente et non discriminatoire, en écartant de ce prix tout coût étranger à la production».
Cette obligation de transparence intégrale sur le coût de l’eau en gros, à l’égard de candidats potentiels à l’exercice du service public d’eau potable s’applique à fortiori aux autorités publiques ayant la responsabilité de mise en œuvre de ce service.
5
La décision n°435595 en date du 13 avril 2021, mentionnée aux tables du recueil Lebon, du Conseil d’État, qui a jugé que les pièces comptables d’un organisme de droit privé chargé d’une mission de service public sont des documents administratifs communicables quand il existe un lien suffisamment direct entre les opérations retracées par les documents demandés et la mission de service public de l’organisme de droit privé considéré, au titre de l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA).
Cette obligation de communication s’impose assurément aux pièces comptables d’un opérateur privé qui entend tirer bénéfice de sa contribution à la mise en œuvre du service public d’eau potable. C’est donc le cas pour tout document comptable permettant d’évaluer le coût de ce service.
6
L’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui a également valeur constitutionnelle en qualité de préambule à la Constitution, édicte que « La Société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. «
Cette obligation de rendre des comptes pour les dirigeants et agents gestionnaire du service public d’eau potable s’étend assurément aux contrats, conventions, accords, transactions qu’ils passent avec des opérateurs privés pour la mise en œuvre de ce service.
7
L’ Article L1413-1 du CGCT oblige le Syndicat Eau du Sud francilien, SESF, à créer une CCSPL pour le(s) service(s) public(s) qu’il entend, soit confier à un tiers par convention de délégation de service public ou exploiter en régie dotée de l’autonomie financière.
Cette CCSPL devra être obligatoirement consultée préalablement pour avis par l’assemblée par l’organe délibérant du Syndicat sur :
1° Tout projet de délégation de service public, et tout projet de création d’une régie dotée de l’autonomie financière, avant que l’organe délibérant se prononce dans les conditions prévues par l’article L. 1411-4 du CGCT. (…)
3° Tout projet de partenariat avant que l’assemblée délibérante ou l’organe délibérant ne se prononce dans les conditions prévues à l’article L. 1414-2 ;
Dans l’hypothèse d’une éventuelle concession des outils de production et de transport, cet avis ne pourra être valablement rendu par la CCSPL que s’il est éclairé par l’ensemble des données garantissant que le choix se fait au moindre coût pour l’usager.
8
Selon la nouvelle stratégie quinquennale 2023-2027 présentée par le nouveau SUEZ le 21 septembre 2022, il est prévu que, pour récompenser ses actionnaires, la croissance de sa profitabilité devra être supérieure à celle de son chiffre d’affaires dont la croissance annuelle moyenne est prévue entre 4 et 5%.
Cet objectif des dirigeants de Suez d’une priorité absolue accordée à la profitabilité de l’entreprise est martelé à 3 reprises dans la présentation de cette stratégie de Suez.
La croissance du groupe est prévue en s’appuyant notamment sur une coûteuse politique d’acquisitions et implantations à l’international dans « des géographies émergentes ciblées », et principalement dans le domaine des déchets; A cette fin, l’apport de la manne financière apportée au moindre coût à Suez par son RISF reste déterminant; il est évident que les actionnaires du groupe feront tout pour préserver et faire fructifier ce pactole .
Face à cet engagement de transparence et de loyauté des dirigeants de Suez à l’égard de leurs actionnaires pour une profitabilité maximale, il serait choquant et déséquilibré que les dirigeants du SESF ne s’acquittent pas du même impératif de transparence et de restitution à l’égard des habitants qui les ont élus pour défendre au mieux leurs intérêts.